Jean-Loup Taieb, Président de l’association Planète Copropriété, nous livre son ressenti sur le manque d’ambition des pouvoirs publics en ce qui concerne la rénovation des copropriétés. Il milite pour un « fond travaux » obligatoire, le développement d’audits énergétiques globaux, des financements et une communication réellement incitatifs.
Pouvez-vous nous présenter Planète Copropriété ?
Aujourd’hui, nous sommes plus de 70 adhérents d’univers très divers – architectes ; ingénieurs, assureurs, financiers syndic… – à promouvoir la rénovation de copropriété auprès du gouvernement et du grand public. Nos membres experts sur le sujet ont porté des idées novatrices auprès du Plan Bâtiment Durable ou du Débat National de la Transition Energétique.
Notre Conseil d’Administration comporte 12 membres dont Maître Joli-Cœur
, avocat spécialiste de la question des copropriétés au Québec, région à la pointe sur les problématiques liées aux copropriété !
Quelle est l’étendue de vos missions concrètes ?
Nous sommes une association de bénévoles qui ne cherche pas à se substituer aux thermiciens ou assistants à maîtrise d’ouvrage. Nous pensons à Planète Copropriétés que l’audit obligatoire n’est pas suffisant pour déboucher sur un lancement de travaux, c’est tout un état d’esprit à faire germer dans la tête des copropriétaires.
C’est pourquoi nous avons développé un outil innovant : le « Bilan Initial de Copropriété » B.I.C. C’est un « état des lieux » initial de votre copropriété que peut effectuer un membre du conseil syndical motivé ; avant de demander un audit énergétique. Cela lui permettra de mieux connaître les besoins de sa copropriété et de bénéficier au début de sa démarche de l’accompagnement bénévole d’un membre de Planète Copropriété qui va l’aiguiller tout au long de ce parcours.
Nous avons 8 groupes de travail qui réfléchissent sur différentes problématiques de la rénovation en copropriété et qui formulent des propositions aux ministères concernés. Nous étions satisfaits de voir que certaines de nos préconisations ont été reprises dans la loi ALUR l’hiver dernier.
Nous répondons également à des appels d’offre de réflexion ou de projets liés à notre domaine d’action, ce qui nous permet de financer certaines de nos actions.
Enfin, nous proposons des sessions de formation aux Espace Info-Energie E.I.E. ou Agence Locale de l’Energie et du Climat A.L.E.C. et autres organisations parmi les 280 associations qui font de l’accompagnement en France.
Quel diagnostic faites-vous de la rénovation en copropriété en France ?
C’est le cafouillage ! On a des raisons aujourd’hui de se demander pourquoi il y a un tel fossé entre les discours et les actions prises par les gouvernements successifs. Alors qu’on nous martèle constamment les objectifs des 3×20 et du Facteur 4, l’Etat ne prend pas ses responsabilités en termes de financement et de communication.
Le coût élevé des travaux est encore un frein majeur à la rénovation énergétique en copropriété et malgré les aides disponibles, le reste à payer est un effort financier encore trop important. C’est très simple : faire croire aujourd’hui qu’il y a un retour sur investissement d’une rénovation en copropriété est un leurre ! C’est rentable sur une échelle aléatoire de 14 à 30 ans alors que la moyenne nationale de possession d’un logement avant mutation est de 8 ans et demi. Il suffit de comparer le prix mensuel d’une rénovation étalé sur 10 ans proposé par les banques et le gain d’économie d’énergie calculé par le thermicien sur 10 ans. Et bien on peut avoir des différences de plus de 100 euros par mois !
Quelles solutions préconisez-vous ?
Pour nous, l’effort doit venir non seulement de la demande mais surtout de l’offre. C’est-à-dire : plus de financements et plus de communication.
Nous attendons avec impatience le décret d’application de l’eco-prêt à taux zéro collectif voté à l’Assemblée Nationale depuis plus d’un an et demi (Janvier 2012) ! C’est un financement de long-terme qui permet de diluer le coût de la rénovation dans le temps et de ne pas payer d’intérêt.
Il faut argumenter auprès du particulier, le convaincre et avoir une politique de communication cohérente ! Est-ce que vous avec déjà vu une seule publicité ou campagne publique sur la rénovation énergétique des copropriétés ? A part peut-être quelques documents de l’ADEME à la Foire de Paris mais ça ne va pas plus loin…
Nous sommes également favorables à l’instauration d’un « fond travaux » obligatoire à la hauteur de 5% minimum du budget provisionnel des charges de la copropriété. Nous sommes atterrés de voir que cette mesure initialement prévue dans le projet de loi ALUR et qui allait « mettre un peu d’huile dans la locomotive » vient d’être retiré par le Conseil d’Etat.
Cela existe au Québec depuis 1994 et cela marche très bien, comme nous le voyons sur le terrain pour ceux qui en disposent en France ! Il facilite le vote de travaux puisqu’une partie des coûts aura déjà été provisionnée. Pourquoi ne pas aussi le rattacher à la pierre afin que les dotations aux fonds de travaux ne soient pas reprises lors de la cession des lots…
Le « tiers-investissement » est-il un outil d’avenir ? Comment pallier la frilosité des investisseurs ?
Nous suivons évidemment avec beaucoup d’intérêt l’ensemble des initiatives, publiques et privées, ayant pour but de stimuler la rénovation énergétique en copropriété. L’idée du Tiers investisseur est séduisante : porter les travaux en lieu et place des copropriétaires tout en leur permettant de profiter des économies sur la facture énergétique et surtout de l’appréciation de la valeur patrimoniale de leurs biens immobiliers dès l’issue des travaux, parait répondre à une grande majorité des freins à la réalisation des travaux, notamment financiers.
Il y a aujourd’hui des capitaux que nous pourrions attirer vers notre secteur grâce à ces nouveaux modèles de tiers investissement. Toutefois, la nouveauté du marché de la rénovation thermique et la méconnaissance par les investisseurs du monde de la copropriété n’en facilitent pas le développement.
La SEM Energies Posit’IF vient tout juste d’entamer son exploitation. Son objectif est justement de démontrer que le modèle du tiers investisseur dans la rénovation énergétique des copropriétés est viable et de faire en sorte que les investisseurs s’intéressent à cette filière. C’est une affaire à suivre !
Selon vous, quel rôle peut jouer une garantie de performance énergétique (ou Contrat de Performance énergétique avec garantie de résultat) pour les copropriétés qui font des travaux d’économie d’énergie ?
La garantie de performance énergétique contribue à rassurer les maitres d’ouvrage qui s’engagent dans des travaux de rénovation énergétique importants. En effet, l’absence d’une garantie sur les économies d’énergie annoncées au départ fait reculer certaines copropriétés qui doutent de l’efficacité des travaux proposés et des compétences des professionnels qui les proposent.
Si nous pouvions « garantir » ces économies d’une façon ou d’une autre, nous pourrions ainsi « sécuriser » le retour sur investissement que les copropriétaires attendent des travaux.
Le marché des Contrats de Performance énergétique avec garantie de résultat en copropriété est encore embryonnaire. Nous comptons beaucoup sur le développement d’offres adaptées à notre contexte.
L’habitat groupé est-il un des leviers de la transition énergétique des copropriétés ?
En effet, ca a beaucoup de sens pour Planète Copropriété. D’ailleurs, on milite auprès du gouvernement pour dépasser l’échelle du bâtiment et raisonner à l’échelle de l’îlot. L’habitat groupé existe déjà sous une certaines forme dans les centres de vacances par exemple avec les laveries communes et la location de vélo. Il faut commencer à investir intelligemment ! C’est plus judicieux d’avoir une très bonne machine à laver pour 5 ménages qui s’organisent entre eux que 5 mauvaises machines utilisées chacune une fois tous les deux jours.
Aux Etats-Unis et au Canada, il existe des salles de réception dans les immeubles ou encore des chambres d’amis communes plutôt que 5 chambres d’amis inutilisées… Il faut regarder ailleurs et s’inspirer des bonnes recettes. En France, on a souvent un petit décalage mais je suis de nature optimiste !
Vous avez un groupe de travail dédié au tandem biodiversité et copropriété. Pouvez-vous nous en parler ? Quel potentiel économique et écologique pour ce tandem ? (récupération de l’eau de pluie, toits végétalisés…)
La biodiversité c’est d’abord le respect de la nature dans les espaces verts de l’immeuble: on vote sur des engrais naturels et non plus chimiques, la végétalisation par des plantes favorisant la biodiversité, des nichoirs pour les oiseaux non nuisibles, etc.. Ce n’est qu’après ces réalisations simples que viendront la végétalisation de la toiture, le recours aux énergies renouvelables quand c’est possible (petites éoliennes, géothermie) jusqu’à la récupération de l’eau de pluie etc…
Le potentiel économique est considérable : nouveaux métiers de conseil, formation des jardiniers, des syndics, des copropriétaires, nouvelles méthodes, nouveaux produits « zéro phyto » etc.
Nous constatons que ces plans biodiversité favorisent le lien social entre les habitants et provoquent des discussions entre les habitants sur le développement durable et les économies d’énergie. Ils favorisent naturellement les votes d’audit énergétiques plus complets que l’audit basique. Ils font selon nous intrinsèquement partie du débat sur la transition énergétique. Les pouvoirs publics devraient mieux y réfléchir mais nous sommes là aussi pour les aider!
Nous organisons des colloques en partenariat avec la ville de Paris qui souhaite harmoniser avec nous son propre plan biodiversité qui est destiné aux jardins et espaces verts publics.
Le groupe de travail « biodiversité copropriété » animé par Marie-France TAUDIERE et Me Olivier BRANE travaille à ce rapprochement « public privé » et nous allons publier prochainement en accord avec la Ville de Paris un guide de « la biodiversité en copropriété » destiné aux syndics, aux conseils syndicaux et bien sûr aux copropriétaires.
Quel rôle aura à jouer les bureaux d’étude thermique dans la rénovation des copropriétés ?
Les bureaux d’étude thermique comme Sénova ont un rôle d’accompagnement important. Je suis atterré cependant de voir qu’il existe des différences de prix gigantesques allant de 5000 a 25 000 euros pour un audit de copropriété. Il faut absolument structurer la filière et connaître le prix réel et la qualité des prestations fournies, sans quoi on continuera à alimenter la méfiance des copropriétés.
Il faut que les BET prennent également la mesure du microcosme social que représente une copropriété. Il faut adapter le modus operandi à cette sociologie particulière en écoutant les habitants et en collaborant étroitement avec le syndic et l’architecte en charge de la rénovation. La sélection se fera selon nous sur cette capacité à collaborer avec tous les acteurs de la copro. Les travaux du sociologue de l’énergie Gaëtan Brisepierre sur les difficultés de mobilisation des syndics et des architectes sont intéressants à ce sujet.
Enfin, quels conseils donneriez-vous à un copropriétaire qui se lève aujourd’hui pour porter un projet de rénovation énergétique dans sa copropriété ?
La réponse, c’est de réaliser un audit de gestion. Avant d’entreprendre des travaux de requalification ou de réhabilitation en copropriété, il est important de savoir d’où l’on part. C’est la vocation de l’audit de gestion que de quantifier et de qualifier toutes les caractéristiques de la copropriété.
Les domaines d’investigation sont soit financier, soit administratif, soit technique. La copropriété ne pourra pas s’engager financièrement si trop d’impayés grèvent son budget. Un taux de mutation trop élevé sera un handicap pour faire accepter des travaux à long temps de retour sur investissement.
En fait, connaître les performances actuelles de consommation permettra de se fixer des objectifs et de suivre leur évolution.
Toutes ces valeurs sont traduites en ratios et indicateurs qui non seulement vont permettre de réduire les charges de copropriété mais surtout d’établir le plan de financement nécessaire à la réalisation des travaux. Synthétisé sous la forme d’un tableau de bord global, l’audit de gestion devient le tableau de bord à long terme de la copropriété.
Propos recueillis par Valentin Martinez
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